Nous avions pris rendez-vous, Monique et moi, pour un samedi matin. Mon chat s’était calfeutré sous une couverture et faisait la grasse matinée, j’étais tranquille, je pouvais parler au téléphone un bon moment sans que mon chat n’en fasse une crise de jalousie et ne vienne m’embêter !
Parler, raconter son métier, son quotidien au CDI, a priori très peu pour moi ! Comme nombre de personnes dont Monique a fait le portrait pour les Cahiers pédagogiques, je me disais que je ne faisais rien d’extraordinaire, que je n’avais rien d’original à dire.
Mais Monique a cette écoute particulière qui laisse place au silence, qui donne peu à peu confiance, laisse les mots naître, s’emballer parfois, se raturer et se reprendre comme sur un brouillon, et la pensée se formuler petit à petit ou plus vivement quand nous avons abordé la question de la place du professeur documentaliste dans la réforme du collège, par exemple. Frédérique Yvetot, en lisant mon portrait, m’a dit qu’elle me retrouvait : « il y a tout toi, la réserve, l’envie et la rage ». Un beau compliment pour Monique Royer !
Son écoute donc. Mais avant tout sa voix, une voix chaleureuse, rieuse. Quelque chose de direct, de simple. C’est son grain de voix surtout qui a suscité ma curiosité. En raccrochant, je me sentais à la fois frustrée et soulagée. Soulagée parce que j’allais enfin pouvoir me taire ! Frustrée, parce que c’est Monique que j’aurais voulu entendre ! Déjà quelques phrases qu’elle avait prononcées me trottaient dans la tête, j’en aimais la justesse et la profondeur. Avoir autant parlé de mon métier et en savoir si peu sur Monique…
Je voulais faire son portrait mais, je m’en doutais, quelqu’un d’autre l’avait déjà fait pour les Cahiers pédagogiques. Ça n’était que justice et je n’en aurais pas été capable. Finalement, ce n’était pas tant un portrait que je voulais faire de Monique qu’une interview, lui laisser la place de s’exprimer à sa façon, avec ses mots, retrouver sa voix. Une amie m’a dit en lisant mon portrait combien Monique l’avait réussi alors que bien souvent, de ses propos il ne reste plus rien, qu’ « une écume, légère amertume ». Elle en avait fait les frais !
Il était donc hors de question que je coupe les propos de Monique !
– Tu dis que le cours magistral, cela ne t’intéresse pas. Quelles pratiques d’enseignement, quels types de pédagogie t’intéressent ? Pourquoi ?
– Pour finir, j’aimerais en savoir plus sur tes goûts ! Que lis-tu, quels films, quels artistes aimes-tu, quelles musiques écoutes-tu ?
Cf. le portrait de Doc toc toc sur le site des Cahiers pédagogiques.
Cf. le beau portrait de Monique Royer par Christine Vallin, également pour les Cahiers pédagogiques.
D’abord, les embouteillages, éprouver l’espèce de résignation habituelle et autre chose, d’encore confus, comme un soulagement.
C’est un vendredi de fin d’après-midi aux abords de Paris, comme j’en ai vécu d’autres et l’habitude rassure, diffère aussi le moment redouté d’entrer dans Paris, et cette question que je n’ose formuler : comment vais-je retrouver Paris ? Vais-je me sentir rejetée par elle de n’avoir pas été là, ce week-end du 13 novembre ?
J’appréhende de rentrer dans Paris, comme si j’avais été malgré moi contaminée par ce travail photographique artistique autour d’un Paris vidé de ses habitants. Image qui a circulé sur les réseaux sociaux, une rumeur faisant croire à des Parisiens terrorisés, cloîtrés chez eux au lendemain des attentats. Je n’ai pas la télé, n’ai regardé aucune image en boucle sur les chaînes d’info en continu, mais cette image d’un Paris en creux, suspendu, me hante parmi toutes celles que j’ai vues sur Twitter. Comme si Paris avait été changée irrémédiablement, devenue étrangère à elle-même.
J’approche de Paris, ne sais pas ce que j’attends.
Puis, je la vois, au loin, avant même le tunnel, je vois son faisceau lumineux que je n’avais jamais remarqué avant, me semble-t-il. Je mets du temps avant de réaliser que ce ne peut être que celui de la tour Eiffel.
Je passe le tunnel de Saint-Cloud et son tournant en épingle à cheveu et la vois. Je sais que c’est elle que j’ai tant attendue, après l’avoir vue dans de si nombreux dessins. J’ai ce besoin de la voir « en vrai ». Elle est là, identique à elle-même, elle m’offre cette illusion consolatrice d’un Paris immuable.
Je suis sur le périph et me vois guetter des signes. J’attends maintenant de voir les trois couleurs bleu-blanc-rouge que je n’ai pu voir sur la tour Eiffel -il était encore trop tôt. Je les cherche malgré moi, dans un automatisme. La nuit tombe, ça roule plutôt bien maintenant sur le périph, je lève les yeux, lit les enseignes, publicités, lettres lumineuses et m’accroche aux couleurs jusqu’à arriver au niveau d’un pont qui enjambe le périph et laisse se détacher, immense, horizontale, une façade aux multiples néons formant le drapeau français. Je vois même l’enseigne « Leclerc So Ouest » avec sa station service et me plais à y lire là encore les trois couleurs que j’ai besoin de voir. Je n’avais pas fait attention à cela. A l’omniprésence du bleu, du blanc, du rouge, dans cet ordre-là, dans les enseignes commerciales au point que je me demande s’il en a toujours été ainsi.
Je suis en train de tout transformer en signes. Je lis Paris. On se protège comme on peut.
Le lendemain, en marchant du Bataclan vers République, je passe devant une agence immobilière, mon regard balaie la devanture et s’accroche à un « LOVE » qui n’est pourtant rien d’autre, bien sûr, que « LOUÉ ».
Dans le métro, plus tard, à République, je pose mon parapluie, tête en bas sur le sol noir. Il dégouline. Un filet sombre coule, net, épais, et je ne peux m’empêcher de penser à un filet de sang qui parfois prend cette couleur, presque noire. Je réfrène la sensation immédiatement, me l’interdit tant avoir eu cette idée me semble déplacé, coupable. Moi qui suis en vie.
Je prends des photos, déchiffre tout derrière l’écran de mon appareil, seul moyen pour voir quand même, voir et ne pas voir en même temps. Mettre à distance.
Au-delà de l’émotion que suscitent toutes ces fleurs, ces bougies, ces hommages, voir la beauté. Je ne sais si l’on peut dire qu’elle est consolatrice, mais elle me fait du bien, me facilite les choses -cadrer, organiser le réel, agencer les couleurs et les formes, trouver si belle cette affiche placardée à plusieurs endroits avec son « Même pas peur » ou « Même pas mal » comme un déni provoquant, une méthode Coué nous affirmant à tous, que « ça ira ! ».
Il fait un temps de chien, des rafales de pluie. Mes doigts sont gourds, mes bas de pantalon trempés et prendre des photos n’est pas aisé. En marchant, je me fais la réflexion que c’est un temps à attraper la crève et réfrène vite les mots avant qu’ils ne sortent de ma bouche, naïvement. Je dois me méfier de tout, des mots et expressions qui peuvent si vite prendre une autre tournure, si indécente. Et ce n’est qu’en tapant ce texte, que je m’aperçois aussi que je viens d’utiliser le mot « rafales » pour parler de bourrasques de vent accompagnées de pluie… Je ne l’ai pourtant pas fait exprès.
Et pourtant, je ne veux pas être réduite au silence, je ne veux pas qu’on me force à l’oubli d’un « La vie continue » entendu dans les bureaux de l’administration alors que les trois jours de deuil national n’étaient pas même passés.
Les réflexes professionnels reprennent le dessus : que puis-je photographier, que pourrais-je montrer, utiliser avec les élèves ? Je ne vais pas jusqu’aux terrasses de cafés, restaurant, et même si j’y étais allée, je n’aurais pas photographié les impacts de balle dans les vitres du bar Le Carillon. J’en reste aux mots, aux messages que je veux transmettre aux élèves, les mots pour dire le piège de la haine, ceux pour dire la nécessité de rester unis, ceux encore pour dire le refus des amalgames.
Je finis en photographiant les messages sur les panneaux lumineux de la Mairie de Paris, guette plus particulièrement celui sur la culture qui nous permet de rester debout et celui, encore, nous invitant à utiliser le hashtag #noussommesunis.
C’est ainsi aussi que j’ai commencé mes séances avec les élèves, par ce besoin de douceur, de consolation, en les faisant trouver des actions solidaires qui ont vu le jour grâce aux réseaux sociaux. Pour une fois que je pouvais contrer ces organismes qui interviennent dans les établissements scolaires et leur discours unilatéral, caricatural sur « les dangers d’internet et des réseaux sociaux » !
Mercredi 11 juin, j’ai eu la grande surprise d’apprendre que Gribouilles de doc avait nominé Doc toc toc pour un Liebster Award : cette « distinction » permet de faire découvrir de nouveaux blogs et, par la même occasion, de dire toute l’admiration que l’on a pour eux !
Mais, ce n’est pas l’tout ! Lorsqu’on est nominé, il faut aussi répondre à 11 questions puis nominer à son tour 11 blogs !
Je commencerai par la question 10 de Gribouilles de doc :
Voici les questions que m’a posées Gribouilles de doc !
Et mes réponses !
1. Pas un livre du CDI ! Calcutta de Shumona Sinha, mais cela m’a laissée de marbre. Il faut dire qu’en littérature indienne, difficile de rivaliser avec Un océan de pavots d’Amitav Ghosh, Un garçon convenable de Vikram Seth ou Le Dieu des Petits Riens d’Arundhati Roy !
2. Un livre préféré, vraiment un seul ? Non, impossible pour moi. Alors, pour changer de la littérature indienne, je passe à l’Europe centrale avec Les Buddenbrook de Thomas Mann, Auto-da-fé d’Elias Caneti et L’homme sans qualités de Robert Musil. Cela fait 3, je sais !
3. Ah, si j’avais su ! Poster un dessin quasiment chaque semaine, quelle gageure ! J’ai ouvert ce blog sous le coup de l’inspiration ! Un grand moment pour moi que la découverte du blog de gribouilles de doc ! J’ai vu, et ce fut un choc… suivi d’un assaut de plein d’idées de dessins !
4. Anonymat, un choix qui correspond bien à mon caractère, mes doutes et à la volonté de garder une certaine liberté. Mes collègues au collège ignorent tout du blog ! Seuls des amis et les docs du bassin savent que je le tiens.
5. Le collège, sans hésitation. J’imagine, sans doute à tort, avoir une liberté pédagogique plus grande et les collègues être davantage prêts à succomber à mes sollicitations. Et puis, j’adore la spontanéité des 6èmes, qui ne sont pas encore blasés de tout !
6. L’inventquoi ? Ah non, vraiment, je suis une mauvaise gestionnaire, d’ailleurs, j’anticipe déjà sur la question 8. En réalité, je fais le récolement d’une partie du fonds.
7. Parce que la philo mène à tout ! Parce que je voulais être une prof différente des profs ! Donc une prof doc ! Ne pas ressembler à ce que je connaissais d’un peu trop près. Comme ma mère ne sait toujours pas se connecter à internet, je ne risque rien pour cette révélation !
8. Professeur à 70%. Mais je ne me reconnais pas tout à fait dans les résultats du quiz : 0% animateur culturel, 0% geek, 0% gestionnaire, c’est un peu vache quand même ! En fait, j’ai regretté de ne pouvoir parfois cocher plusieurs réponses. Je suis sûre que si je refaisais le test, en fonction des moments, le profil dominant changerait.
9. J’ai plutôt envie de répondre en évoquant la dernière fois où un membre de ma famille m’a demandé ce que c’était qu’un prof-doc. Devoir expliquer, – en allemand, s’il vous plaît -, un métier qui n’a pas d’équivalent en Allemagne, m’a toujours paru au-dessus de mes forces. Et comme ils oublient d’une année sur l’autre… je me sens comme Sisyphe !
10. Des indices sur le dessin !
P.S. Je n’ai qu’un seul chat, mais je ne souffrirai aucune contradiction : c’est le plus beau ! Quant au chignon, il y a belle lurette que j’y ai renoncé, s’il tient une heure, j’ai de la chance !
11. La dernière fois que j’ai dit « chuuut ! ». Et bien à mon chat justement, qui a poussé ce soir quand je suis rentrée du boulot, un miaulement interminable, du genre « j’essaie d’atteindre le record du miaulement le plus long pour que tu comprennes enfin que tu dois me caresser avant même d’adresser la parole à un humain, de poser ton sac et d’enlever tes chaussures ». Un tyran !
Normalement, il faut également révéler 11 choses sur soi ! Je ne le ferai pas, c’est déjà le cas dans les réponses aux questions de gribouilles de doc ! Juste une chose encore, je la rejoins sur le chocolat : le chocolat noir, il n’y a que ça de vrai !
Et maintenant, le moment que vous attendez tous : la nomination pour un Liebster Award de 11 blogs à (re)découvrir :
Je n’en citerai pas 11 « nouveaux » par rapport à ceux nominés par Gribouilles de doc, j’ajouterai simplement :
Je triche, ce n’est pas un blog mais un site aux dessins joliment naïfs que vous connaissez tous sur la « dame du CDI« , son métier, les ressources du CDI… Mais pourquoi, diable, ne pas continuer à l’alimenter ?!
Élégance du fond noir, silhouette de rêve, SuperDoc est vraiment une super héroïne qui combat le crime et l’injustice. Ses dialogues sont drôles et poignants, ses démêlés avec Le Dragon autour de la question épineuse du budget du CDI est un régal d’humour, mais on rit jaune, car des dragons, on en connaît tous !
Encore la preuve que les profs docs ont de l’humour !
4) Fenetresur
Pour sa mutualisation de séances alléchantes ! Merci !
Tout est dit dans le nom du blog ! J’adore les cartographies de Sophie Bocquet, la dernière en date « Cartographie des différents types de projet en centre de documentation » est un horizon vers lequel tendre mais j’ai bien peur de n’y arriver jamais !
Journal de bord pour bien prendre la brise ! Ses réflexions aident à mettre les voiles et tenir le cap !
Pour finir, des blogs déjà cités par Gribouilles de doc, je ne les présente plus mais ne résiste pas à l’envie de dire combien j’apprécie la profondeur des réflexions et la qualité des séquences partagées, les tutoriels ou critiques de livres…
7) L’odyssée d’LN : je tisse m@ toile
8) Calypso
10) Doc à bord
11) Marthe au CDI
Et maintenant, au boulot, voici 11 questions auxquelles les bloggers nominés ci-dessus pourront répondre :
1) Dans vos acquisitions de l’année, quels ont été vos coups de cœur ? Indiquez s’il s’agit de coups de cœur collège ou lycée !
2) Quelle est la séquence (ou séance) pédagogique dont vous êtes le plus fier ? Celle qui a marché au-delà de vos espérances, qui vous a le plus enthousiasmé(e)…
3) Quel dessin de Doc toc toc préférez-vous ?!
4) Vous aussi, parfois, vous vous sentez un peu « toc toc », quelle fantaisie, maladresse, moment de folie douce, lapsus… vous est-il arrivé de vivre au CDI ? Racontez !
5) Quelle activité du CDI (ou liée à vos missions) est la plus chronophage pour vous ?
6) Avez-vous mis en place une politique documentaire ? Quel axe vous semble prioritaire, le plus important à défendre ?
7) Quels sont les petits rituels qui vous aident à tenir le coup dans les moments de baisse de régime ? Thé ou café ? (Petits ?!) gâteaux, chocolat ? Cigarettes ? Votre TL sur Twitter ? Autre chose ?!
8) Si un jour, vous deviez ne plus exercer votre profession, quel métier vous tenterait le plus ?
9) Chez vous, vos étagères de bibliothèque croulent sous le poids de quels genres de livres ?
10) Quelles sont vos bandes dessinées ou romans graphiques préférés ?
11) Le dernier film qui vous a laissé(e) sous le coup de l’émotion ? Et un musicien(ne)/chanteur(se) ?